La colère des kurdes grandit et la rupture avec le régime turc s’annonce ouvertement, après la mort de 35 villageois kurdes. Deux associations des droits de l’homme en Turquie concluent dans un rapport préliminaire qu’il s’agit d’une « exécution extrajudiciaire » et de « massacre collectif », tandis que l’Amnesty International demande une enquête indépendante et transparente sur le meurtre de civils.
Le 28 décembre peu après 21h, 35 personnes ont été massacrées lors d’un raid aérien turc contre le village de Ortasu (Roboski en kurde), dans la région de Sirnak. 27 heures après le massacre, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a regretté la mort de villageois, tentant de justifier le raid par le fait que dans le passé les militants du PKK avaient emprunté le même chemin « pour transporter à dos de mules leurs armes et munitions afin d’attaquer des postes militaires. »
Le pays est divisé
Le co-président du principal parti kurde BDP, Selahattin Demirtaş, a sévèrement critiqué le gouvernement lors des funérailles de 35 civils. « Aujourd’hui le pays est divisé. Le nom de cette région est Kurdistan même si vous tuez 50 milles fois » a-t-il dit.
Les victimes étaient des jeunes pour la plupart, âgés de 16 à 20 ans, le plus vieux avait 28 ans et ils faisaient tous de la contrebande de cigarettes entre l’Irak et la Turquie avec des mules et des ânes, selon le rapport préliminaire de deux associations des droits de l’homme, IHD et MazlumDer.
Hadji Encu, âgé de 19 ans, l’un des trois jeunes survécus, raconte : « Nous étions deux groupes, en tenue civile et sans arme (…) l’attaque a duré 1h. Nous faisons ce travail depuis longtemps. Deux personnes étaient mariées, les autres étaient des élèves. »
Rapport : exécution extrajudiciaire et massacre collectif
Le rapport indique que ces civils et leur trajet étaient connus par des soldats qui étaient au courant du commerce transfrontalier. Le rapport démente la déclaration l’état-major des armées selon laquelle “la zone où se sont produits les faits est celle de Sinaht-Haftanin, située au Kurdistan irakien, qui n’abrite pas de population civile et où se trouvent des bases de l’organisation terroriste”.
Affirmant que la région de Sinat-Haftanin était loin du lieu du massacre, le rapport souligne qu’aucune autorité ne s’est mobilisée pour transporter les corps des victimes qui ont été emmenés à dos d’ânes par des villageois. Les corps entaient calcinés et mutilés, selon les défenseurs des droits de l’homme qui ont constaté l’utilisation des bombes incendiaires.
« Notre délégation a conclu qu’il s’agit d’une exécution extrajudiciaire et d’un massacre collectif en tenant compte du nombre des personnes tuées » affirme le rapport.
Amnesty demande une enquête indépendante
Amnesty International a appelé les autorités turques à enquêter immédiatement sur la mort de 35 civils. «Les circonstances de l’opération militaire qui a causé la mort de tant de civils, dont certains étaient des enfants, doivent être enquêtés de toute urgence, de manière complète, indépendante et transparente”, a déclaré Nicola Duckworth, directrice du programme Europe et Asie centrale de l’organisation. Soulignant que les regrets du gouvernement sont les bienvenus mais insuffisants face à ce qui semble avoir été un échec complet de distinguer une cible militaire et les civils, elle appelle les autorités turques « à prendre des mesures pour prévenir d’autres attaques et de fournir une compensation pour les familles des personnes tuées. »
PS consterné, évite de condamner le massacre
Le Parti socialiste français dit avoir appris avec consternation la mort de 35 villageois kurdes, réaffirmant « sa position en appelant une nouvelle fois à une résolution politique et pacifique de la question kurde en Turquie. »
« Il n’est pas admissible que les revendications justes et légitimes d’un peuple de plusieurs millions de personnes puissent être assimilées à une seule organisation telle que le PKK, pour refuser dans le même temps une solution politique préconisée par des partis kurdes légaux et représentés au Parlement tel que le BDP, et par beaucoup d’autres en Turquie. » déclare dans un communiqué Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national du PS à l’international.
Joël Dutto : Erdogan a provoqué ce drame
Pour le conseiller municipal et communautaire PCF de Marseille, Joël Dutto, « l’acharnement aveugle du gouvernement de Mr Recep Tayyip Erdogan à l’encontre du peuple Kurde et du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) a provoqué ce drame, il doit être condamné par la communauté internationale. »
« Il conduit à l’assassinat de civils, à l’emprisonnement d’opposants, de journalistes, d’avocats et d’élus, encouragés par le silence de la France et de l’Union Européenne. La Turquie membre de l’OTAN menace notre pays coupable à ses yeux de reconnaissance du génocide des arméniens, et chaque jour use de la répression pour anéantir le peuple kurde, ça suffit !!! Il est temps que les voix de l’indignation et de la réprobation se fassent entendre au plus haut niveau de l’Etat. »
Manifestations au Kurdistan et en Europe
Alors que plus de 30 milles personnes en colère ont enterré vendredi 30 décembre les corps de 35 civils au village de Guzelyazi, dans la province de Sirnak, des dizaines des milliers d’autres ont manifesté à travers le pays et en Europe pour protester contre le gouvernement AKP.
A Diyarbakir, capitale du Kurdistan de Turquie, des dizaines de milliers de personnes rassemblées pour montrer leur colère ont demandé la démission du premier ministre, criant « Erdogan assassin!»
A Paris, quelque 3 milles personnes, selon les organisateurs, ont défilé de la Place de République jusqu’au Chatelet.
A Marseille, la police a empêché des centaines de manifestants rassemblés sur la Canebière de se rendre au Consulat de Turquie. Les manifestants, 1500 selon l’association kurde, ont protesté contre l’attitude de la police et ont crié des slogans tels que « Erdogan, terroriste », « Turquie fasciste » et « nous sommes tous du PKK ».
Des manifestations ont eu lieu aussi à Creil et à Strasbourg avec la participation des centaines de personnes.A Zürich en Suisse, quelque 500 manifestants ont protesté contre le gouvernement turc lors d’une marche jusqu’au Consulat de Turquie.
Des milliers de personnes ont également descendu dans les rues de Hambourg, Hanovre de Magdeburg en Allemagne, de Linz et de Bregenz en Autriche, de Helsinki en Finlande, de Malmö en Suède et de Londres en Grande-Bretagne. (M.A.)