Au total, 35 villageois kurdes dont 19 enfants ont été massacrés dans le raid turc du 28 décembre contre un village dans la région de Sirnak. Un massacre sans pitié, planifié à Ankara selon les kurdes, car le gouvernement refuse de s’excuser et le premier ministre Recep Tayyip Erdogan n’hésite pas à féliciter l’armée turque pour sa « sensibilité » envers les civils. Pour lui, ce sont les kurdes, les opposants et les journalistes qui sont coupables.
Depuis l’arrivé au pouvoir de l’AKP en 2002, au moins 171 enfants kurdes dont 35 en 2011 ont été tués par les forces de l’ordre ou des explosifs militaires, selon un décompte de l’ActuKurde à partir des rapports de l’association des droits de l’homme et de l’initiative « Bir Göz de Sen Ol ».
Parmi les personnes massacrées le 28 décembre dans le raid turc contre le village Ortasu (Roboski en kurde) figuraient 19 enfants. Ils faisaient le commerce transfrontalier, soit de la contrebande de cigarettes entre l’Irak et la Turquie, une pratique qui se déroulait sous surveillance et autorisation non formelle des autorités turques. Deux associations des droits de l’homme en Turquie, IHD et MazlumDer, concluent dans un rapport préliminaire qu’il s’agit d’une « exécution extrajudiciaire » et de « massacre collectif », pas d’incident. Selon un autre rapport de plusieurs organisations civiles, 13 personnes blessées lors des bombardements sont mortes sur le dos des habitants car les ambulances et les hélicoptères ne sont pas bougés pour les sauver.
Le principal parti kurde BDP qui était sur le lieu de crime durant toute la nuit du bombardement a parlé de « génocide » et de « massacre planifié ». Son co-président Selahattin Demirtas a sévèrement critiqué le 3 décembre le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, affirmant : « Nous ne reconnaissons pas votre légitimité. Vous devez rendre des comptes pour avoir massacré ces enfants. Vous n’avez pas le droit de nous demander de rendre des comptes. »
Une armée si « sensible » que…
Plus tôt, Erdogan a accusé le BDP et les journalistes, au lieu de donner des explications convaincantes sur le crime ou de faire des excuses. « Je félicite l’état-major pour sa sensibilité sur ce sujet » a dit le premier ministre turc, défendant son armée malgré le massacre.
Une armée si sensible qu’elle a massacré le 21 aout 2011 sept membres d’une famille dont trois enfants dans le raid contre un village dans le Kurdistan irakien, si sensible qu’elle a tué 40 civils dont des femmes et des enfants dans les bombardements en 2000 contre le village de Kendakole, toujours dans le Kurdistan irakien. En 1994, deux villages dans la région de Sirnak ont été bombardés en plein jour et une quarantaine de personnes ont perdu la vie. La « sensibilité » de l’armée a tué plus de 470 combattants du PKK par des armées chimiques dans 40 opérations menées entre 1994 et 2011. Une armée qui a transformé le pays en fosse commune : environ 3248 corps humains se trouvent actuellement dans 253 fosses communes dans la région kurde, selon une association des droits de l’homme. Cette armée est aujourd’hui sous contrôle de l’AKP, parti au pouvoir.
Erdogan ouvre la guerre aux manifestants
Le premier ministre a même cherché à justifier le bombardement, citant les jets de cocktails Molotov contre la police et les biens publics. Et sa réponse aux réactions dans les rues : « Nous allons préparer un projet de loi qui prévoit de considérer les cocktails Molotov comme une arme », ce qui donnera aux policiers le droit d’ouvrir le feu sur les manifestants qui jettent des cocktails Molotov.
Le 6 décembre, une peine de 24 ans de prison avait été requise par le Parquet de la République d’Adana contre un adolescent de 15 ans pour avoir jeté des cocktails Molotov sur des policiers. Faut-il attendre le pire après la déclaration d’Erdogan ?
Les mensonges officiels et les vérités
Le gouvernement a qualifié la mort de 35 personnes d’incident, tandis que l’armée a déclaré avoir bombardé la zone sur la base de renseignements selon lesquels les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) allaient s’infiltrer en Turquie. Des purs mensonges !
Il n’y avait aucun mouvement du PKK dans cette région et aucun affrontement n’a eu lieu depuis 1999 à l’endroit où des civils ont été bombardés, selon Bahoz Erdal, un des commandants de la branche armée du PKK, le HPG. Les zones utilisées par les guérillas sont des zones interdites aux civils par l’armée turque, mais la zone du massacre ne l’est pas, affirme-t-il, dans une interview accordée à l’agence de presse kurde Firat. « S’il y avait des bases du PKK dans la zone, le procureur pouvait-il aller sur le lieu avec seulement deux hélicoptères de type Skorsky ? » s’interroge-t-il, affirmant que chaque village de la région compte un bataillon de soldats qui surveille jour et nuit la région avec des dispositifs à haute technologie.
Le massacre planifié à Ankara
Si trois personnes n’avaient pas survécu aux bombardements, le gouvernement accuserait le PKK d’être le responsable du massacre, ajoute Bahoz Erdal. « Le massacre a été planifié à Ankara » dit de son coté Hasip Kaplan, député BDP. « Le but était de ne pas laisser de témoins. C’est un crime contre l’humanité » souligne Kaplan, affirmant que son parti portera l’affaire devant la Cour européenne des Droits de l’Homme et les Nations Unis.
Les vrais barons de la contrebande
Les activités de contrebande issues de la pauvreté ne sont pas un secret dans la région, elles se déroulent avec l’autorisation des autorités locales. « Les militaires postés dans la région connaissaient les victimes et étaient informés de leurs activités de contrebande », selon le rapport préliminaire de deux association des droits de l’homme. Dans ce commerce transfrontalier, les enfants et les jeunes cherchent à gagner l’argent de poche ou pour financer leurs études au péril de leur vie. Mais les vrais barons de la contrebande dans la région sont des officiels comme le commandant de la division de Sirnak, le préfet de Sirnak ou le gardian de village Hazim Babat, accusé également d’exécutions extrajudiciaires pour le compte de l’État.
Une journaliste virée après les menaces d’Erdogan
Le gouvernement qui refuse de s’excuser et de punir les responsables du massacre menace les journalistes pour les réduire au silence. 24 heurs après que le premier ministre s’en est pris violemment aux journalistes, l’une de rares journalistes qui osent toujours critiquer le gouvernement a été virée le 4 décembre du quotidien HaberTürk. Il s’agit d’Ece Temelkuran qui, dans son dernier article, parlait du massacre et critiquait Erdogan avec ces mots : « Supposons que nous sommes des gens terroristes. Nous sommes très horribles ! Ne nous approchez pas ! Nous sommes comme ça par exemple. Mais les enfants sont morts. 19 enfants (…) Que faire pour considérer qu’ils ne sont pas morts ? »
« C’est clairement un massacre de civils, le dissimuler serait un crime contre l’humanité » avait déclaré Selahattin Demirtas, au lendemain du massacre. C’est ce que le gouvernement Erdogan est en train de faire
Les médias “mainstream” sont sous contrôle du gouvernement AKP. Plusieurs journalistes turcs ont été virés ou éloignés des écrans de télévisions, comme Banu Guven et Can Dundar. D’autres ont été menacés ou intimidés. Les autres qui ne reculent pas ; les journalistes kurdes et opposants, sont des principales cibles du gouvernement. La Turquie est aujourd’hui la plus grande prison du monde pour les journalistes avec au moins 96, en grande majorité des kurdes, selon le Plateforme de soutien aux journalistes emprisonnés. (Egalement publié sur l’ActuKurde MA)