Le mot kurde a de nombreuses significations aujourd’hui. Il était oublié pendant des dizaines d’années. Le peuple qui porte ce nom a subi des massacres et une négation abominable après avoir traversé une histoire mouvementée qui prend ses origines dès la première civilisation.
Opprimés, turquifiés, arabisés, iranisés, trahis et oubliés par les grands puissants, les Kurdes ont pourtant réussi à laisser leurs traces dans l’histoire à travers des siècles, de l’âge néolithique à nos jours.
Divisés et partagés entre les frontières de la Turquie, de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie, les Kurdes n’ont pu échapper d’être victimes de la realpolitik, des échanges économiques et des calculs géostratégiques. Mais les oubliés d’hier sont devenus les héros d’aujourd’hui dans le chaos du Moyen-Orient.
Les revendications kurdes de Turquie et des autres parties du Kurdistan ne datent pas d’hier. La lutte de ce peuple a pris une forme d’autonomie en Irak, après les massacres sauvages perpétrés par le régime de Saddam Hossein, notamment dans les années 1980.
En Iran, la lutte de libération du peuple kurde se renforce de plus en plus et se prépare à un changement radical. Une face à face paraît imminente et inévitable si le régime iranien continue sa politique dangereuse. Mais aujourd’hui, les deux parties évitent toute confrontation frontale pour des raisons tactiques ou stratégiques.
En Syrie, les Kurdes sont revenus avec force sur le devant de la scène depuis la révolution du juillet 2012 avec la prise du contrôle de leurs villes et la construction d’une autonomie ouverte à tous les composants du pays. Leur résistance historique et leurs projets démocratiques ont poussé les puissants régionaux et internationaux à changer leurs stratégies. Les frontières artificielles divisant et malmenant les Kurdes ont perdu leur sens face à une résistance légitime, ce qui a changé le cours de l’histoire qui se joue dans ce monde chaotique. Certains, comme le mouvement kurde, parlent d’une troisième guerre mondiale pour décrire les crises actuelles.
En Turquie, les revendications du peuple kurde sont inscrites dans un projet à long terme, comprenant toutes les parties du Kurdistan et le Moyen-Orient. Il s’agit d’un confédéralisme démocratique, exigeant une société démocratique, écologique et basé sur l’égalité des sexes, soit une société sans Etat. Il faut noter que c’est grâce à cette stratégie que les Kurdes syriens ont pu mettre en ouvre une autonomie inclusive et démocratique.
Le leader kurde, Abdullah Ocalan prépare depuis des années la communauté kurde pour une autre solution et contre les dangers éventuels. Luttant pour le « moins d’État qui correspond un peu plus de société civile », le mouvement kurde a adopté la vision de « l’écologie sociale » et du « municipalisme libertaire », mettant en œuvre des communes, des conseils du peuple, des assemblés populaires, de nombreuses organisations de la société civile. Il s’agit de créer des communautés autogérées, tout en réduisant la pression de l’Etat sur la vie dans tous les domaines.
Cette stratégie avance étape par étape, évitant une confrontation frontale avec l’Etat-nation, démocratisant d’abord le système de la Turquie, afin de résoudre le problème kurde. L’objectif est une autonomie démocratique dans une confédération moyen-orientale. Mais les moyens peuvent changer, selon la conjoncture, pour mettre en œuvre ce projet.
Les Kurdes sont conscients que leur lutte exige la démocratisation de tous les Etats qui les entourent et colonisent le Kurdistan, afin de pouvoir vivre en paix avec les autres nations et groupes sociaux. Le mouvement kurde de Turquie soutient l’idée que l’Etat-nation n’est pas une solution et veut mettre en œuvre les communautés autogérées qui seraient plus adaptées au tissu régional.
Il faut également admettre que c’est grâce à cette stratégie que le mouvement kurde est aujourd’hui plus fort que jamais. Envisager une solution sur la négation et la destruction du peuple kurde n’est plus possible. Les Kurdes ne sont pas seulement une force incontournable mais aussi la seule force qui a un projet démocratique pour l’avenir de la région.
C’est justement cette stratégie globale révolutionnant les mentalités qui a emmené le gouvernement turc sur la table des négociations. Rappelons que derrière ce processus, il y a une résistance de 40 ans. Si on parle seulement de la répression de ces dernières années, on voit clairement à quel point les Kurdes ont payé un lourd tribut. Des dizaines de milliers de personnes ont été arrêtées entre 2009 et 2013, des civils ont été massacrés et trois militantes kurdes ont été assassinées en pleine cœur de Paris. Tous les indices mènent aujourd’hui à Ankara, dans ce triple assassinat.
Avec la déclaration historique de Mr Ocalan, le 21 mars 2013, le nouvel an kurde, les négociations entre le mouvement kurde et l’Etat turc sont entrées dans une nouvelle étape. Une nouvelle ère a commencé, comme disait M. Ocalan, malgré la position liberticide du gouvernement AKP, le parti au pouvoir du Recep Tayyip Erdogan.
Afin de passer à l’étape des pourparlers, le leader kurde Abdullah Ocalan évoque notamment dix mesures pour une paix durable, y compris la rédaction d’une nouvelle Constitution offrant «un statut juridique pour les Kurdes» et reconnaissant «les droits collectifs et culturels» de ce peuple.
LA DECENTRALISATION DANS TOUS LES DOMAINES
Les dix mesures exigent des pourparlers sur une politique démocratique, une autonomie démocratique, la redéfinition de citoyen dans une nouvelle constitution afin de garantir les droits des citoyens libres, la reconnaissance en tant qu’une organisation de la société civile de toutes les organisations sous la bannière du mouvements kurdes, considérées comme illégales par les autorités, des mesures socio-économiques, une nouvelle politique de l’ordre publique garantissant les libertés, des garanties juridiques pour mettre fin à toutes les formes de discrimination visant la femme, la culture et l’environnement, ainsi que la reconnaissance constitutionnelle de l’identité kurde et le droit à l’enseignement en langue maternelle. Enfin, une nouvelle constitution.
Les idées d’Ocalan pour une nouvelle Turquie et un nouveau Moyen-Orient sont aujourd’hui plus rependues que jamais, tout comme la force politique et militaire du mouvement kurde. Malgré le processus de paix, des milliers de jeunes ont rejoint les rangs du PKK. Ils viennent de toutes les parties du Kurdistan. Parmi ces combattants figurent également de nombreux étrangers dont des turcs, arabes, allemands, assyriens…
Le mouvement kurde se prépare, se réorganise et change ses tactiques, en mettant sur place toutes les options, d’abord une paix et des libertés, mais aussi une défense légitime dans un Moyen-Orient où les calculs régionaux et internationaux s’annoncent dangereux.
Sur la scène politique de la Turquie, les idées d’Ocalan ont pris la forme d’un nouveau parti qui répand de plus en plus ses influences au sein de différentes communautés. Il s’agit du parti démocratique des peuples (HDP), coalisé avec toutes les couches sociales. S’imposant comme seule alternative démocratique, ce parti se présente comme la seule force qui veut faire reculer le règne autoritaire du Président de la République, Recep Tayyip Erdogan. Le succès historique de ce parti dans les élections législatives du 7 juin 2015 en est la preuve.
Mais ce n’est pas tout! L’objectif n’est pas simplement de se débarrasser du régime Erdogan ou de créer un pouvoir étatique, mais de créer une autonomie démocratique pour les kurdes en Turquie.
Les événements récents suivant les bombardements du régime AKP contre les bases du PKK, à partir de 24 juillet, expliquent beaucoup de choses sur les intentions du gouvernement d’une part et la stratégie du PKK d’autre part.
Cette stratégie du PKK n’est pas basée sur la reconquête des villes mais sur la libération des villes kurdes. Ce qui signifie à une autogestion démocratique dans toute la région kurde, avec ses communes, conseils du peuple, coopératifs, forces d’autodéfense et une économie autonome. La décentralisation dans tous les domaines.
Les Kurdes s’imposent aujourd’hui comme un acteur démocratique incontournable pour l’avenir de la Turquie et du Moyen-Orient, malgré des attaques incessantes et des massacres atroces comme on a vu le 25 juin à Kobané quand les éléments de Daech se sont infiltrés dans la ville depuis la Turquie.
Le pouvoir en Turquie continue de nager dans les eaux troubles pour empêcher les Kurdes d’obtenir leur liberté, sauf qu’il est devenu aveugle et ne voit plus la réalité en face.
Les Kurdes sont plus que jamais déterminés, ne reculant devant qui que ce soit pour transformer leurs rêves en réalité, après des siècles de persécutions.
Maxime Azadi